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Isabelle Saint-Martin, historienne de l’art : « “La Cène” de Léonard de Vinci a fait l’objet d’innombrables détournements contemporains »

Beaucoup de bruit pour rien. Ce sentiment peut dominer devant la polémique suscitée par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, polémique censée se dégonfler comme une baudruche depuis les explications apportées par Thomas Jolly et la référence au Festin des dieux de l’Olympe citée par des internautes. L’explication est d’autant plus plausible à vrai dire que, tel un palimpseste, La Cène de Léonard de Vinci apparaît en filigrane dans le tableau de Jan Harmensz van Bijlert à la notoriété duquel on ne fera pas injure en disant qu’il sort grand gagnant de cette agitation médiatique.
Il est à craindre toutefois que cette justification éclairante, mais en partie contredite par de premières déclarations des acteurs concernés, n’éteigne pas la suspicion sur les réseaux sociaux. Le comité organisateur comme le concepteur assurent n’avoir jamais voulu provoquer, Philippe Katerine en appelle à la vertu de pardon s’il a pu offenser. La vivacité de la réaction internationale semble les avoir surpris. Elle s’explique pourtant si l’on replace le débat à la croisée de plusieurs dimensions propices à ce type d’emballement.
Au premier chef se retrouve l’aptitude d’une frange du monde catholique à s’approprier la dénonciation du blasphème. Le 26 juillet à 21 h 57, Marion Maréchal s’adresse dans un tweet en anglais et en français « à tous les chrétiens du monde » pour dénoncer « la parodie drag-queen de la Cène ». Il est probable que les évêques de différents continents qui ont réagi, souvent proches d’une mouvance conservatrice à l’instar de l’archevêque de San Francisco, n’aient pas vu le spectacle mais le montage photo du tweet qui met en parallèle la composition originale de La Cène de Léonard de Vinci et la disposition des drag-queens autour de la DJ Barbara Butch auréolée.
Les différences sont multiples, à l’évidence, mais le jeu des tableaux vivants, si populaire lors du Covid, a entraîné à reconnaître la similitude des structures au-delà des variations ponctuelles. L’arrêt sur image renforce la comparaison.
La polémique enfle dans la lignée de précédentes affaires relayées par des associations d’extrême droite. En préemptant la parole offensée, elles cadrent le regard. Dans ce contexte, la Conférence des évêques de France est contrainte, comme elle l’a fait depuis la création en 1996 de l’association Croyances et libertés, de réagir dans un communiqué, au ton certes plus mesuré, afin de ne pas abandonner aux extrêmes le monopole de la sensibilité heurtée, et de prendre en compte les réactions sincères de ceux qui se sentent blessés.
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